Benoît Moreau, qui intervient dans les Industries graphiques depuis vingt-cinq ans, est diplômé de l’Institut français du pétrole et de l’Université Pierre et Marie Curie. Il a travaillé dans un bureau d’études spécialisé dans la pollution des sols. Puis il a effectué un stage à la FICG (1), ancêtre de l’UNIIC (2), et en 1998, il s’y est vu proposer la création d’un service environnement qu’il a animé jusqu’en 2015.
En 2010, il a créé Ecograf, un cabinet de conseil spécialisé dans la problématique environnementale des Industries graphiques. Il a d’abord conseillé les imprimeurs avant de se tourner vers leurs clients, éditeurs de livres et de magazines, plateformes, etc. Dès 2011, il a participé à la création du calculateur européen ClimateCalc (3) qu’il installe, depuis, chez les imprimeurs français et étrangers qui veulent évaluer l’empreinte carbone de leur activité.
Print Ethic : Vous avez co-écrit le référentiel de Print Ethic avec Valérie Bobin-Ciekala et l’appui du groupe de travail créé pour l’occasion. Quel est, selon vous, l’intérêt de ce label ?
Benoît Moreau : Print Ethic vise un changement profond. La démarche s’inscrit dans le temps long et suppose un travail de fond, une vraie réflexion, une remise en question et beaucoup d’efforts. Les entreprises s’engagent pour douze ans. Elles le font avec beaucoup d’honnêteté. Même quand c’est difficile et qu’elles s’aperçoivent, qu’à y regarder de plus près, la réalité ne correspond pas à ce qu’elles s’imaginaient. Avec Print Ethic, il s’agit de les accompagner et de les valoriser. La qualité de l’accompagnement, qui fait l’unanimité, est primordiale pour les aider à changer pour le mieux sur le plan économique, social et environnemental.
Ajoutons que Print Ethic est un label de référence qui s’appuie sur une démarche structurée. Il est encadré par l’AFNOR et a fait l’objet d’un premier audit, l’année dernière, audit qui n’a relevé aucune non-conformité.
P.E. : Vous êtes membre du collège « experts » du comité de labellisation. Que vous apporte la participation à ce comité ?
B.M. : Le comité de labellisation est un regroupement de compétences qui se propose de donner un avis éclairé sur ce que font les entreprises candidates, sans dénaturer le label. Il est composé de quatre collèges, employeurs, salariés, parties prenantes et experts qui expriment une grande variété de points de vue ; les entreprises sur leur progression, leurs actions ; les salariés sur la gouvernance, etc. Tous les membres du comité sont des bénévoles. Personne n’est spécialiste de tout. Il y a une écoute réciproque et les débats entre les différents collèges sont très enrichissants. J’apprends beaucoup.
P.E. : Quelles évolutions observez-vous chez les entreprises qui s’engagent dans la démarche ?
B.M. : Elles s’interrogent sur le sens de leur activité et sur leur identité. Qui suis-je ? Quelle est la chair de mon entreprise ? Où veux-je aller et pourquoi ? Ce qui les conduit à se poser la question de leur stratégie. L’enjeu est bien de définir une stratégie et de s’en donner les moyens. Sur le volet social, par exemple avec des bilans de compétences, de la formation, etc. Les échanges et les partages d’expérience que leur permettent les différents webinaires et la réunion annuelle des entreprises leur sont très utiles pour nourrir leur réflexion.
P.E. : Vous accompagnez les entreprises de la branche et des secteurs connexes dans leur démarche de réduction des gaz à effet de serre. Pouvez-vous nous en dire plus ?
B.M. : Avec la transposition en droit français de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), les grandes entreprises et celles qui sont cotées en Bourse sont soumises, depuis le 1er janvier dernier, à de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier. Il s’agit de structurer la façon dont les entreprises communiquent sur leur impact. Le reporting extra-financier porte sur les données ESG (environnement, social, gouvernance), dont les émissions de CO2. Sont concernées les entreprises qui remplissent trois conditions : plus de 500 salariés, plus de 40 millions € de chiffres d'affaires, plus de 20 millions € de total de bilan. En 2025, le seuil de 500 salariés sera abaissé à 250.
Compte tenu de leur taille les imprimeurs échappent, pour la plupart, à ces obligations mais pas leurs clients, les grands donneurs d’ordre et les plateformes. Certains grands groupes se contentent souvent d’une approximation car le poste « imprimés » est marginal dans leur activité. En revanche, les entreprises où l’imprimé fait partie du cœur de métier, ou est visible du fait des volumes (grande distribution), sont obligées de communiquer sur l’empreinte carbone de leurs imprimés. Elles ont deux solutions : faire le calcul en interne avec les données fournies par les imprimeurs, ou demander directement aux imprimeurs de leur donner le bilan carbone de leurs imprimés. Dans tous les cas, les imprimeurs doivent être en mesure de fournir des informations fiables. Ils ont donc besoin d’un outil de calcul.
P.E. : Cet outil, c’est ClimateCalc ?
B.M. : Oui, ClimateCalc, le calculateur développé au niveau européen. C’est un bon outil, spécifiquement dédié aux Industries graphiques. Il permet d’estimer, à un coût raisonnable, l’empreinte carbone d’un site et de tout imprimé qui y est produit. Je travaille beaucoup, par exemple, avec les imprimeurs de livres des Pays Baltes, d’Allemagne, d’Italie qui sont nombreux à l’utiliser. ClimateCalc leur permet d’estimer l’empreinte carbone de chaque livre. Je regrette que les imprimeurs de livres français ne lui réservent pas le même accueil.
P.E. : Les acheteurs d’imprimés se sentent-ils concernés par la réduction de l’empreinte carbone ?
B.M. : La très grande majorité des acheteurs d’imprimés n’attendent qu’un prix, une qualité ou un délai. Mais les choses évoluent. Les jeunes qui arrivent aux responsabilités s’impliquent davantage. Il y a une porosité entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Ils veulent faire partie de la solution, pas du problème. Et ils sont très intéressés par cette problématique. Cette frange de la clientèle, qui veut jouer le jeu, dans le droit fil des Accords de Paris, reste très minoritaire. J’estime qu’elle représente environ 10% du marché. Mais elle s’épaissit progressivement.
P.E. : En conclusion, quels changements le réchauffement climatique peut-il induire pour les Industries graphiques ?
B.M. : Le changement climatique est une réalité. Soit on l’accompagne, soit on le subit. Mais nous rentrons dans une économie de la sobriété. Les imprimeurs doivent s’interroger sur le sens de ce qu’ils produisent. J’ai vu imprimer des flyers en format A5 pour un réseau de parfumeurs. Chaque unité était adressée à chaque magasin dans une enveloppe en carton rigide par Chronopost. Je ne pense pas que ce type de job soit durable dans une économie de la sobriété car non financièrement et environnementalement optimisé, etc.
Ce type de produit et de service est, à mon avis, voué à disparaître. Il sera remplacé par d’autres, plus compatibles avec la sobriété. Les imprimeurs doivent se former pour proposer des alternatives (format, papiers, grammages).
(1) Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique.
(2) Union nationale des industries de l’impression et de la communication.
(3) ClimateCalc est un calculateur européen déployé en France par le service « QHSE et RSE » de l’UNIIC et Ecograf.